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Livre: AU-DELÀ DE L'IMAGE. UNE ARCHÉOLOGIE DU VISUEL AU MOYEN AGE, VE-XVIE SIÈCLE

Olivier Boulnois distingue deux tendances qui vont, des siècles durant, opposer papes, empereurs, évêques et abbés. La première considère avec Augustin qu'il y a une voie pour accéder à la connaissance de Dieu, celle de la "conversion du regard". Une âme humaine peut parvenir, sans médiation, à une contemplation intellectuelle de Dieu en trouvant cet Autre niché au coeur du moi. L'image, dans cette conception qui sera reprise par Hugues de Saint-Victor (1096-1141) puis par les "Rhénans" Dietrich de Freiberg (1250-1310) et Maître Eckhart (1260-1327), n'est plus une reproduction passive. Elle devient une intentionnalité dynamique qui se dépasse en s'anéantissant devant le Dieu auquel le croyant aspire à "s'unir".

L'autre tendance, celle de saint Denys l'Aréopagite (Ve siècle) puis du moine irlandais Jean Scot Erigène (IXe siècle), estime que Dieu, invisible, ineffable et transcendant à l'être même, ne peut être connu que par les traces qu'Il a laissées dans les Ecritures ou dans le "livre du monde" (la nature) à travers lesquelles Il se manifeste en autant de "théophanies". Pour ceux-là, le divin se situe au-delà de la forme et donc, ici-bas, l'image est non seulement indépassable mais indispensable pour L'"adorer".

Dès lors que la ressemblance parfaite ne s'est produite qu'une seule fois avec le Christ et que toute tentative d'imitation (mimesis) s'avère désormais vouée à l'échec, la meilleure façon d'approcher Dieu consistera à le représenter plutôt par son contraire, le dissemblable et le monstrueux. Tel est le sens que le Moyen Age donne au terme de "symbole". C'est sous la forme du laid et de l'informe que le divin se perçoit peut-être le plus adéquatement - ce dont témoignent les nombreuses figures monstrueuses qui parsèment l'art roman.

AU-DELÀ DE L'IMAGE. UNE ARCHÉOLOGIE DU VISUEL AU MOYEN AGE, VE-XVIE SIÈCLE d'Olivier Boulnois. Seuil, "Des Travaux", 494 p., 26 €.

Source: article du Monde