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Pelerin.info : La fin d'une politique du patrimoine ?

Rentrée bien maussade pour le monde du patrimoine historique. On avait pourtant l'impression ces dernier mois que des prises de conscience s'opéraient, qu'une véritable volonté politique se constituait enfin pour assurer à ce secteur culturel et économique les moyens décents de (sur)vivre, voir de se développer.
Et voilà, les belles paroles évanouies, la réalité réapparait avec son triste visage, comme revient un cauchemar qu'on espérait conjuré.
Les chiffres parlent et font froid dans le dos :

A périmètre constant, le budget de l'État consacré aux monuments historiques est passé de 380,8 millions d'euros de crédits de paiement en 2007 à 303,8 millions d'euros en 2008, soit une baisse de 20%;

Les crédits de l'État alloués en 2008 aux Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont baissé de -20 à -40% par rapport à 2007;

Les communes de moins de 2000 habitants qui concentrent 65% des monuments en péril sont délaissées au profit des des grands chantiers et des grandes villes;

L'endettement des DRAC qui représentent deux années de crédits engagés culmine à hauteur de 600 millions d'euros. Les DRAC de Rhône-Alpes et de Bourgogne doivent renoncer à tout nouvelle commande de chantier, faute de crédit;

On compte aujourd'hui 41% de monuments classés en état défectueux contre 32% en 2002;

L'aide publique aux monuments historiques privés, soit la moitié du patrimoine historique français, ne cesse de décroitre pour toucher un plancher de 7%...

Ajoutons à cela,
des mesures en faveur du mécénat qui pourraient être positives (malgré le fait qu'elles ne soient guère avantageuses pour les petites et moyennes entreprises) mais dont on attend toujours les décrets d'application,

des menaces qui pèsent sur la fiscalité, (alors que que cette défiscalisation qui coute actuellement 33 millions d'euros au budget de l'État, apporte par ailleurs en recette fiscales 92 millions d'euros à l'État et aux collectivités locales par les impôts directs et les cotisations sociales générées l'activité des monuments),

l'absence de visibilité et de financement pérenne, souvent annoncé jamais concrétisé...

Autrement dit, selon les entrepreneurs du patrimoine, représenté par La Demeure Historique et le groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) : "On ne prépare plus l'avenir et on n'assure plus le présent"

Même inquiétude recueillie auprès d'une autre association patrimoniale, Vieilles Maisons Françaises qui réclame " une mesure d’apurement financier par une recette exceptionnelle, telle la cession d’actifs immobiliers ou financiers de l’Etat"<:i> pour combler l'endettement des DRAC, et la création "d’une ressource nouvelle et durable, provenant par exemple de la taxation des jeux de hasard".

Pour sortir de ce gouffre, les associations du patrimoine en appellent la tenue d'une conférence sur l'avenir d'une patrimoine qui réunirait tous les acteurs de ce secteur. Une sorte de "Grenelle du patrimoine". Les solutions existent et certaines font déjà l'objet de consensus entre acteurs économiques et politiques. Promise par le ministère de la culture, mais sans cesse repoussée, la tenue de cette conférence apparait chaque jour plus urgente et rend le silence de la rue de Valois incompréhensible.

Pendant ce temps, un autre ministre montre tout son intérêt pour ce secteur qui ne manque pas d'atouts économiques. Il s'agit d'Hervé Novelli, secrétaire d’Etat chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Il a multiplié récemment les signes d'intérêt pour les liens qu'entretiennent patrimoine et tourisme culturel. Des liens qu'il entend développer.
Un intérêt explicite et encourageant qui poussent certains acteurs du patrimoine à rêver, pour l'instant à voix basse, d'un changement de tutelle.

Alors que que le ministère de la Culture s'apprête une fois de plus à se réjouir du succès populaire que vont rencontrer les 20 et 21 septembre les Journée européennes du patrimoine, peut-il encore longtemps se réfugier dans le silence ou les annonces velléitaires ? Ce n'est pas parce qu'on a pas d'argent qu'on ne peut pas avoir des idées.

Benoit de Sagazan Pelerin.info

Lire également toutes les notes précédentes qui concernent la politique du patrimoine et qui recoupent plusieurs points abordés ci-dessus

Décès de Mgr Jean Rocacher

Conservateur des archives historiques de l'archidiocèse de Toulouse et professeur émérite d'archéologie et d'art sacré à l'Institut catholique, Mgr Jean Rocacher, 80 ans est décédé, mercredi dernier, emporté par une vague sur la plage de Sète.
Ses obsèques ont été célébrées ce matin.

Professeur émérite d'archéologie et d'art sacré, Jean Rocacher a enseigné de longues années à l'Institut catholique, jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite à l'âge de 75 ans. Âgé de 80 ans, il était conservateur des archives historiques de l'archidiocèse de Toulouse, toujours très actif dans les milieux religieux et culturels.

Membre de plusieurs sociétés savantes de la Ville rose, ce passionné d'histoire demeurait rue Saint-Anne, non loin de la chapelle éponyme. Écrivain prolixe et précis, il était l'auteur de nombreux livres sur les chefs-d'œuvre de l'art sacré de notre région, Saint-Sernin, les Jacobins, Saint-Bertrand-de-Comminges, Rocamadour, de très nombreux ouvrages sur les églises et chapelles de la Haute-Garonne et d'une somme sur l'art roman, richement illustrée. Il livrait de nombreux articles religieux ou historiques dans l'Auta, la revue des Toulousains de Toulouse, dont il était vice président. Il travaillait encore récemment à un article sur le 150e anniversaire des apparitions de la Vierge à Lourdes.

Défenseur d'une haute conception de l'art roman, il s'était engagé dans les années quatre-vingt-dix contre la dé restauration de la basilique Saint-Sernin par Yves Boiret.

En savoir plus surLa Dépêche du Midi du 8 septembre

Eglise romane de Tohogne

Il est assez rare de voir un site si bien fait et complet pour une église paroissiale, qu'il nous a paru bon de le signaler et de proposer à tous d'aller le visiter .

Cela donnera sûrement des idées pour la mise en valeur des patrimoines religieux locaux que tout le monde pourra consulter avant de se rendre sur le site lui-même.

http://www.eglise-romane-tohogne.be/accueil/accueil.htm

Saint Gilles

A 20 km au sud de Nîmes, à 15 km à l'ouest d'Arles, sur un antique oppidum proche du Petit-Rhône, se dresse l'abbatiale Saint-Gilles. Elle apparaît soudain, sur une petite place, au milieu des rues de la vieille ville.

La ville? Un écrin délabré enfermant un des plus précieux joyaux de l'art roman... joyau bien peu protégé. Un jour les jeux de ballon sur la façade renouvelleront les mousquetades protestantes du XVIe siècle.

Si la ville était propre, accueillante, si les maisons anciennes – dont on devine l'élégance sous la crasse – étaient, sinon restaurées, du moins un peu nettoyées, alors Saint-Gilles connaîtrait le sort heureux des cités, même modestes, qui ont su mettre en valeur un patrimoine exceptionnel. Pourquoi la ville de Saint-Gilles, avec plus de 13000 habitants, ne présenterait-elle pas un visage aussi avenant que Conques avec ses 300 habitants? Ou au moins un abord de l'abbatiale aussi propre et protégé que celui de Saint-Pierre de Moissac, commune de 12000 habitants?
Il faut cependant signaler l'excellent accueil pour la visite de la crypte, et surtout à la Maison Romane (très proche de l'abbatiale) où nous attendent quelques trésors du XIIe siècle.
Mais aussitôt après, le cadre, qui donne le sentiment de ne tolérer ces deux trésors qu'à contre-coeur, ne suscite qu'un désir: quitter au plus vite un lieu qui suinte le mépris du passé médiéval chrétien de la France. Et c'est avec une infinie tristesse que l'on reprend la route.

Saint Gilles, la biche et le manuscrit

Gilles (de son nom grec, Aegidius) est né à Athènes et sa sainteté y était source de miracles. Fuyant les foules attirées par sa réputation, il gagna Rome, puis Arles. Cherchant plus de solitude encore, il franchit le Gardon et fut accueill par saint Vérédème. Il se retira dans un endroit plus désert encore, où il vécut avec, pour seule compagnie, une biche qui le nourrissait de son lait.
Un jour, poursuivie par le roi wisigoth Wamba et d'autres chasseurs, la biche se réfugia auprès de Gilles, qui fut blessé par la flèche d'un des archers.

Découvert par Wamba, il refuse de se faire soigner, prétendant que l'homme qui a la foi gagne en vertu dans l'infirmité. Il priait même Dieu de ne pas le guérir tant qu'il vivrait. Le roi venait souvent auprès de l'ermite qui l'évangélisait. Cependant Gilles refusait les richesses que lui offrait Wamba et lui conseilla de faire bâtir un monastère. Ce qui fut fait. Devant les prières et supplications de Wamba, Gilles finit par accepter de devenir abbé.

Le récit dit aussi qu'un jour, un certain "roi Charles" (en qui l'on a voulu reconnaître Charles Martel... qui ne fut jamais roi) lui demanda de prier pour lui à cause d'un crime si énorme qu'il n'osait le confier à personne, et pas même s'en confesser à Gilles. Ce qui nous laisse perplexes. Que peut-il se commettre de si épouvantable qu'on n'ose le confier à quelqu'un d'aussi bon que Gilles? Mais ne cherchons pas trop, et si nous trouvons, ne divulguons rien. En notre temps où l'horreur est banalisée dans l'information quotidienne dont nous sommes submergés, ce serait un comble que quelques criminels pervers trouvassent dans la Légende dorée de quoi enrichir leur délétère florilège.

Revenons à Gilles qui, au cours de la messe, priait pour ce roi Charles. Un ange vint et lui présenta un manuscrit sur lequel le péché était inscrit, ainsi que la rémission conditionnelle obtenue grâce aux prières. Le roi lut le texte, reconnut son péché et demanda pardon. Certaines versions de ce récit disent que les mots s'effacèrent alors du parchemin. Au vu du sort que Moïse avait fait subir à ce qui était pourtant écrit "du doigt même de Dieu", l'ange n'a peut-être pas jugé utile de laisser une trace de son écriture. Nous perdons un autographe intéressant, mais, comme nous l'avons dit, nous y gagnons peut-être en matière de criminalité.
Les moines prisent particulièrement les récits d'exemptions, aussi s'accompagnent-ils souvent de la relation d'un miracle. Ils se plaisent donc à raconter que Gilles est allé à Rome afin de demander un privilège pour son abbaye. Le pape le lui accorda volontiers et lui offrit en plus deux lourdes portes en cyprès sur lesquelles étaient sculptées les figures des apôtres. Gilles, qui aimait voyager léger, jeta les portes dans le Tibre, revint auprès de son abbaye et trouva les portes dans le port où elles attendaient qu'il les plaçât à l'entrée de son église pour rappeler aux rapaces hobereaux de Toulouse et de Provence que l'abbaye était exemptée de toutes taxes et charges, ne dépendant que du pape.
Il fit bien d'autres miracles que nous raconte Jacques de Voragine dans La légende dorée. Il est le saint patron de la ville d'Edimbourg (entre autres). On l'invoque pour la guérison des estropiés, des cancéreux et des femmes stériles. En 1968, Andrea Riccardi fonde à Rome la Communauté de Sant'Egidio (saint Gilles, en italien) qui oeuvre efficacement pour la paix dans le monde, ce qui pourrait donner à saint Gilles quelques idées de miracles à accomplir.

L’abbaye en quelques dates

VIIe siècle: fondation du monastère dédié à saint Pierre et saint Paul.

IXe siècle: le monastère est dédié à saint Gilles, ermite local, mort en 720 ou 721. Son tombeau va attirer de très nombreux pélerins et constituera une étape essentielle du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Naissance de la légende de la fondation du monastère par saint Gilles.

Début du XIe siècle: l'abbaye est placée sous la protection du Saint-Siège.

1066: pour tout le monde, c'est l'année où Guillaume le Bâtard devient Guillaume le Conquérant en envahissant l'Angleterre. Mais dans notre Provence rhodanienne, c'est l'année où la comtesse de Nîmes et Narbonne fait don de l'abbaye à Hugues de Semur, le grand abbé de Cluny. Les moines de Saint-Gilles protestent énergiquement.

1077: Grégoire VII prononce l'union de Cluny et de Saint-Gilles. Une concession: comme à Moissac et Vézelay, les moines de Saint-Gilles conservent le privilège d'élire leurs abbés.

Fin du XIe siècle: l'abbaye, protégée par le pape, recueillant les offrandes des pélerins, du roi de France, du comte de Toulouse, devient assez riche pour entreprendre la construction d'une nouvelle église.

1096: l'autel est consacré par Urbain II bien que l'église soit encore en chantier. Une consécration papale attire toujours les offrandes.

Début du XIIe siècle: comme dans toute l'histoire médiévale de la Provence, ici encore, les comtes de Toulouse outrepassent leurs droits, violent les accords et veulent exercer leur suzeraineté sur l'abbaye. Le chantier de l'église est interrompu.

1116: l'intervention ferme du pape permet la réouverture du chantier. Une inscription latine à la base d'un contrefort en témoigne. Les murs du XIe siècle sont conservés mais le plan d'ensemble est modifié. En utilisant la pente du terrain, une crypte sera construite sous le début de la nef. Les dimensions sont importantes: la crypte doit avoir 60 m de longueur, et l'église haute 98 m (ce qui est pourtant encore loin des 187 m de l'abbatiale de Cluny, mais lui aurait permis d'égaler les 97 mètres de la basilique de Saint-Jacques de Compostelle).

St-Gilles crypte
Saint-Jean Robert, Languedoc roman, Zodiaque, 2°édition, 1985


1120: nouveaux conflits violents avec le comte de Toulouse. Nous en avons l'habitude. Nouveau refus des moines de se soumettre à Cluny. Nous commençons à en prendre l'habitude.

1132: les moines de Saint-Gilles acceptent enfin de se soumettre à la réforme de Cluny et à la règle bénédictine.

1132-1179: calme relatif et prospérité de l'abbaye. Le chantier reprend. C'est la période d'apogée des pélerinages. La ville s'agrandit, le port est en plein essor. On y embarque pour la Terre Sainte. Les Génois et les Pisans s'y installent. On y rencontre marchands, changeurs, soldats, pélerins...

1136: Pierre de Bruys est brûlé devant l'abbaye. C'était un hérésiarque qui rejetait la doctrine de la transsubstantiation, niait la valeur de certains sacrements, proclamait l'inutilité des églises, prêchait à l'égard des moines et prêtres une violence qu'il mettait lui-même en pratique. et refusait de voir dans la Croix un symbole sacré. Il brisait et brûlait les croix. Certains pensent même que c'est dans un de ces bûchers que les habitants de Saint-Gilles, las de ses sacrilèges et de sa véhémence, le précipitèrent.

La lutte contre les pétrobrusiens, puis contre les cathares, a son importance, comme nous le verrons, dans la mise en place du programme iconographique des portails de Saint-Gilles.

Courant du XIIe siècle: l'hérésie cathare se répand dans le Languedoc.

1177: Raymond V de Toulouse demande l'aide de l'abbaye de Citeaux pour combattre le catharisme. Les dominicains et franciscains succèderont aux cisterciens dans cette lutte.

1194: Raymond VI succède à son père et se montre favorable à l'hérésie qui a gagné presque tous ses barons.

1208: anathème d'Innocent III contre Raymond VI. Excommunication du comte par Pierre de Castelnau, légat du pape. Peu après le légat du pape est assassiné à Trinquetaille, près d'Arles, par un écuyer du comte de Toulouse, alors qu'il venait de quitter saint-Gilles pour retourner à Rome. C'est le début de la Croisade des Albigeois.

12 juin 1209: Raymond VI vient, par opportunisme, s'humilier à Saint-Gilles devant l'armée croisée et jure obéissance au pape. Arnaud Amaury, abbé de Citeaux, le conduit devant l'autel en le fouettant de verges. Après la messe il est conduit dans la crypte, "nu et flagellé", pour qu'il s'humilie devant les tombeaux de saint Gilles et du légat assassiné.

1211: après avoir suivi, plutôt "en observateur", les Croisés, Raymond VI trahit ses serments chaque fois qu'il le peut, et il est à nouveau et définitivement excommunié. Avant de mourir de maladie en 1222, il aura le temps quand même de faire pendre son frère qui a combattu avec les Croisés.

1226: l'abbaye est rattachée à la couronne de France.

1254 et 1270: Louis IX (saint Louis) vient à Saint-Gilles.

1265: le pape Clément IV, né à Saint-Gilles, accorde une indulgence à ceux qui feraient des offrandes pour poursuivre la construction de l'abbaye.

Début XIVe siècle: raccordement de la nef et du transept.

1506: le pape Jules II, ancien abbé de Saint-Gilles, accorde des indulgences aux pélerins qui feraient des offrandes pour aider à achever la construction.

1538: l'église est sécularisée et devient une collégiale.

1562: les Protestants prennent la ville, saccagent l'église, brûlent la bibliothèque et mutilent les sculptures des portails "à coups de mousquetades". Les voûtes s'effondrent dans l'incendie. L'abbaye est transformée en forteresse pour abriter la garnison huguenote. Le duc de Rohan, chef protestant, ordonne de faire raser l'église et le clocher "à fleur de terre" . L'arrivée de la troupe royale permet de sauver les portails et la crypte du désastre. Ne voulant pas être accusés d'égoïsme, les Protestants laissent aussi en place quelques vestiges du choeur roman pour les vandales à venir.

1650: restauration de l'église sur un plan très réduit.

1665: le tympan central est refait.

Révolution française: aussi amoureux de l'art que les Protestants, les révolutionnaires pousuivent avec succès la destruction du choeur roman. L'escalier à vis (la "vis de Saint-Gilles" qui se trouve dans le pilier du transept parmi les ruines) est sauvé par un notaire.

1842-1868: Restauration générale de la façade. Construction de l'escalier d'accès entre la place et les portails, ce qui enlaidit le site et ne facilite pas l'accès aux handicapés, ce qui est le comble pour une église dédiée au saint patron des estropiés.

La façade de Saint-Gilles, un regard roman sur l’art antique

La première pensée qui vient à l'esprit de ceux qui ont visité Orange avant de venir à Saint-Gilles, est que la façade de l'abbatiale est, dans sa structure, une synthèse de l'arc de triomphe et du mur de scène du théâtre.


Mais il ne faut pas pour autant voir dans l'aspect général de cette façade une imitation servile des monuments antiques, - pas plus qu'il ne faut réduire la frise à un pastiche des bas-reliefs paléochrétiens.


Pour nous guider dans cette visite, nous suivrons principalement l'excellente analyse de Robert Saint-Jean (Languedoc roman, Zodiaque, 2e édition, 1985).

Soulignons quelques évidences pour mieux les dépasser ensuite. Le maître maçon qui a conçu le plan de la façade, avec son portail central plus haut que les portails latéraux, a peut-être vu l'arc de triomphe d'Orange, comme il a peut-être vu aussi des murs de scène romains. Des niches contenant des statues en haut-relief sont séparées par des pilastres cannelés, sous un péristyle soutenant un entablement dont la frise est sculptée en demi-bosse.

Comme, plus tard, les sculpteurs de Saint-Trophime d'Arles, ceux de Saint-Gilles ont admiré les sarcophages paléochrétiens. On disait, au Moyen Age, qu'ils avaient contenu les reliques des saints, et les fidèles pouvaient les contempler, non seulement aux Alyscamps, mais aussi dans les églises et les cryptes.

A Saint-Gilles, comme généralement dans toute la Provence rhodanienne, les personnages se présentent avec des proportions anatomiquement correctes, et leurs vêtements à l'antique retombent en drapés dont les plis répondent à l'action naturelle de la pesanteur.

L'essentiel de la façade a été sculpté entre 1140 et 1160 et a eu une influence énorme en Languedoc (cloître supérieur de Saint-Guilhem-le-Désert), en Provence et jusqu'en Italie et en Espagne. Même si les sculpteurs de Saint-Gilles n'ont pas pris part aux chantiers de la façade et du cloître de Saint-Trophime d'Arles, il est évident que leur style antiquisant y a eu une influence déterminante.

Les cinq maîtres de Saint-Gilles

Brunus
Deux statues sont signées Brunus me fecit: saint Matthieu et saint Barthélémy. Ce sculpteur est à l'origine de l'orientation antiquisante de la plupart des sculptures. Il serait aussi l'auteur de saint Paul (assez statique), saint Jean (où apparaît le geste) et saint Jacques le Majeur.
Un Petrus Brunus, magister in opere ligneo et lapideo (maître en oeuvres de bois et de pierre) signe des documents à Nîmes en 1171 et 1186, mais rien ne prouve qu'il s'agit du même artiste.

Le maître de saint Thomas
C'est l'auteur des statues de saint Thomas, saint Jacques le Mineur, saint Pierre, et des bas-reliefs du niveau inférieur du portail central. On l'a aussi appelé "le maître d'Angoulême" à cause de la ressemblance de certaines de ses œuvres saint-gilloises avec des sculptures de la cathédrale Saint-Pierre. "Son style est à la fois plus linéaire, plus plat et plus animé, avec des draperies aux plis conventionnels, soulignés de fins bourrelets qui accrochent la lumière et mettent en valeur un graphisme d'esprit nettement roman. (...) Venu probablement d'un chantier du Sud-Ouest (...) il apportait à Saint-Gilles le souffle étrange et vivifiant d'une sculpture romane plus libre et plus dynamique, mais peu accordée au classicisme de ses compagnons" (Robert Saint-Jean, op. Cit., p. 303).

Le maître des draperies souples ( soft master )
Son style et ses goûts sont assez proches de ceux de Brunus, mais il s'inspire davantage des canons de l'art romain et paléochrétien. Ses personnages sont plus vivants, les drapés plus souples. Les jambes sont légèrement ployées. Un modelé des vêtements révèle de façon subtile les formes des membres et des articulations.
Il est l'auteur du tympan nord (Adoration des Mages), des Préparatifs de l'entrée du Christ à Jérusalem et de la Prophétie du renoncement de Pierre.

Le maître au style dur ( hard master )
Les personnages sont statiques, trapus, vêtus de longs drapés aux plis profonds qui s'évasent vers le bas et cachent les pieds. Les vêtements présentent des plis en spirale sur les poitrines et des plis en vrille sur les jambes.
Il a sculpté le tympan de la Crucifixion (au sud), le panneau de la Résurrection sur la frise, et peut-être le Lavement des pieds.

Le maître de saint Michel
Venant peut-être de Bourgogne, ou bien élève des autres maîtres, mais certainement influencé par eux, il les dépasse tous par sa science de la composition, du relief et du mouvement. Il est l'auteur du saint Michel, du Christ chassant les marchands du Temple, du Baiser de Judas, du Christ devant Pilate, de la Flagellation, du Portement de Croix.
Il introduit souvent des éléments anecdotiques, réalistes, dramatiques, contrastant avec les compositions et les attidudes hiératiques et antiquisantes des autres sculpteurs. Les visages sont vivants, très individualisés. "Il est le plus original des artistes de Saint-Gilles, le créateur d'un style animé et coloré d'une extraordinaire puissance expressive" (Robert Saint-Jean, op. cit., p. 337).

La thématique de la façade, l’hérésie pétrobrusienne et la montée du catharisme
L'iconographie des parties hautes (la frise et les trois tympans) est très intéressante. On y trouve des thèmes présents sur nombre de sarcophages, avec des dispositions semblables. D'autres sont davantage dramatisées à Saint-Gilles.

Cependant, certaines scènes sont propres à Saint-Gilles et semblent bien s'adresser à une population qui rencontre un problème précis. Par exemple, la Flagellation, la Crucifixion (rare sur les tympans romans), le portement de Croix. La façade a connu plusieurs campagnes de sculpture et plusieurs sculpteurs, mais le programme présente une unité profonde et répond au souci de clarifier un débat et d'affirmer solennellement des points du dogme.

Vers 1136, Pierre de Bruys est brûlé devant l'abbatiale, peut-être même dans le brasier qu'il avait allumé pour y détruire des croix. L'hérésie pétrobrusienne n'était pourtant pas morte avec la dispersion des cendres de son fondateur.

En 1138, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, écrit un traité Contre les hérétiques pétrobrusiens, non sans raisons. Un ancien moine de Cluny, Henri de Lausanne, converti aux thèses de Pierre de Bruys, continue à prêcher sa doctrine après la mort de son maître. Certes, c'est un moine gyrovague, paillard, bisexuel et quelque peu pédophile, mais on l'écoute. L'évêque du Mans le fera chasser de la ville et Bernard de Clairvaux finira par le faire enfermer. Au milieu du XIIe siècle, il est donc nécessaire de s'opposer à ces thèses.

Pierre de Bruys conteste le dogme de la Transsubstantiation. Aussi la Cène sera-t-elle inscrite dans la frise, sous le tympan central. Et puisque les hérétiques frappent les esprits en refusant le symbole de la Croix qui, selon eux, relève d'une culture de la mort, la Passion et la Résurrection seront éminemment présente, soulignées de façon très insistante par des images du Christ rédempteur et ressuscité, triomphant de la mort. Pierre de Bruys dénonçant l'enrichissement de l'Eglise, une scène insistera sur l'épisode du Christ chassant les marchands du Temple. Enfin, l'humilité de l'Eglise sera signifiée par la scène tirée de saint Jean, où le Christ lave les pieds de Pierre.

Quant aux cathares, ils sont en plein essor. En 1119 déjà, le concile de Toulouse recommande de réprimer l'hérésie montante, bien qu'elle fût encore dispersée. En 1145 saint Bernard, appelé pour prêcher en Languedoc, mais malgré des succès à Toulouse et Albi, l'hérésie a déjà rongé en profondeur la province et en peu d'années elle commencera à contaminer la Gascogne. Pour les cathares, le Christ n'est pas le Rédempteur. C'est un simple envoyé du Père pour apporter un message de salut. Il n'a pas souffert la Passion et n'est pas mort sur la Croix: il n'avait un corps de chair qu'en apparence. En effet, les corps de chair, comme tout le monde visible, sont l'œuvre du diable et non de Dieu. Comme les pétrobrusiens, ils refusent le dogme de la transsubstantiation et l'Eucharistie, et dénoncent la richesse de l'Eglise et des abbayes. La façade de Saint-Gilles peut donc s'adresser aussi aux âmes que le prosélytisme cathare naissant commencerait à bouleverser.

St-Gilles portail3
Plan de l'église d'après Saint-Jean Robert, Languedoc roman, Zodiaque, 2°édition, 1985

Notons que certains panneaux de la frise ne sont pas dans l'ordre chronologique des Evangiles. Ils auraient peut-être été mal remontés à la suite d'un remaniement de l'oeuvre.


Autre site

Un colloque international sur le patrimoine religieux à Auxerre

L'association Rencontre avec le patrimoine religieux organise du 2 au 4 octobre à Auxerre (Yonne) un colloque international sur le thème "La Porte et le Passage : porches et portails".

Le Musée des Beaux-Arts, ancienne abbaye Saint-Germain d’Auxerre, accueillera l'événement.

Présentation du thème du colloque par ses organisateurs:

"Dans l’histoire humaine, aussi loin que les recherches actuelles permettent de remonter, la porte constitue, dans un édifice, un des lieux les plus chargés de significations symboliques. Ce constat est peut-être plus évident encore pour les édifices religieux. La porte est le lieu du franchissement qui permet d’accéder à un autre espace, matériel et/ou symbolique. Le christianisme lui a donné une signification d’autant plus forte que le Christ se définit lui-même comme « la porte des brebis », que saint Pierre, investi du pouvoir des clefs, est le gardien de la porte du Paradis, et que la Vierge est appelée « Porte du ciel ».
Ce champ très vaste et très divers couvre des édifices de nature différentes : portes de baptistères, notamment en Italie (Pise, Florence, Parme), de basiliques à Rome (Sainte-Sabine), en Allemagne (Hildesheim, Sainte-Marie au Capitole, à Cologne), etc., porches aux grandioses tympans romans (Conques, Beaulieu, Autun, etc.), portails des cathédrales gothiques (Bourges, Chartres, Auxerre) qui abritent un peuple de statues aux ébrasements ou bien logées dans les voussures. Il ne s’agit pas seulement des grandes cathédrales de France ou d’Angleterre (Lincoln, Ely), mais songeons aussi à celles d’Italie, comme Modène ou Orvieto, celles d’Espagne (Burgos, Tolède, Léon, pour les plus grandes, mais aussi Burgo de Osma, Sangüesa, Tudela, etc.) ; ou encore à celles de Pologne (Gniezgno) ou de Russie (Sainte-Sophie de Novgorod). Les narthex ou entrées à épisodes dans l’espace et le temps ne devraient pas être négligés (Vézelay, Compostelle, toursporches…).

A l’intérieur d’un édifice ou d’un ensemble architectural, songeons aussi aux portes de cloîtres (Silos), de jubés (Albi, Tournai), de sacristies (Bayonne), etc. À Trèves, c’est une ancienne porte romaine, la Porta nigra qui est transformée au Moyen Âge en monastère et église. On peut encore ajouter les Portes de l’Année sainte des Basiliques romaines ou de Compostelle.

Seront également abordées les questions relatives à l’orientation, l’emplacement, l’ornementation, ou la dimension symbolique de la porte, sans oublier la perception dans la littérature : Proust et la Bible d’Amiens avec Ruskin, Péguy, Aragon, Claudel, Montherlant (La Reine Morte) mais aussi Racine (Athalie), Calderon, et jusqu'à Umberto Eco… L’approche du sujet s’inscrit ainsi dans la longue durée : car si l’on songe naturellement au traitement du portail dans l’art médiéval, on peut se demander ce qu’il advint de sa fonction et de la symbolique dans l’architecture Renaissance ou classique, puis au XIXe siècle, voire dans la création contemporaine (façade et portes de la cathédrale de Lille, portes de Saint-Guy de Prague).

Les illustrations du thème de la porte ou du passage dans les autres arts seront également explorées :
miniature des manuscrits (Beatus en particulier), peinture (fresques de Signorelli et Sodoma dans le cloître de Monte Oliveto Maggiore, près de Sienne), vitrail (le Bon Samaritain : Chartres, Bourges), orfèvrerie...

Le choix du lieu du colloque s’est imposé comme une évidence à notre association en raison de la restauration magnifique et pleinement aboutie des portails de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, joyau encore trop méconnu de la sculpture gothique et qui feront l’objet d’une présentation in situ."

Rencontre avec le patrimoine religieux - Centre François Garnier
10, Place du Marché
36700 – Châtillon-sur-Indre
Tel : 02 54 38 74 57
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L’association Rencontre avec le Patrimoine Religieux développe de nombreuses activités culturelles : journées de formation, recherche, publication de la revue Art sacré : Cahiers de Rencontre avec le Patrimoine Religieux, expositions… Elle anime le Centre François Garnier (Centre d'études des stalles et du patrimoine mobilier des églises) à Châtillon-sur-Indre. L’organisation de colloques internationaux dont les actes sont publiés dans la revue favorise les échanges entre le monde associatif et universitaire. À paraître en 2008 : actes des colloques « L’Europe des retables » (Le Mans, 2004), « Images de la cathédrale dans la littérature et dans l'art » (Tours, 2006) et « Tapisseries et broderies : relecture des mythes antiques et iconographie chrétienne » (Angers, 2007).

Source: Pelerin.info

Le collège des Bernardins, le réveil d'un édifice médiéval oublié

Peu connu du grand public, le collège cistercien des Bernardins, qui au XIIIème siècle servait à l'enseignement des étudiants parisiens, refait surface après avoir été longtemps oublié, ou dissimulé sous l'uniforme d'une caserne de pompiers. A la suite d'une décision audacieuse du cardinal Lustiger, certains disent prophétique, et après quatre années de travaux colossaux, le revoilà prêt pour le service. Il est officiellement inauguré jeudi 4 septembre.

A Paris, le collège des Bernardins restauré retrouve sa vocation culturelle (La Croix, du 2 septembre 2008)
Après sept années de restauration complète, ce splendide édifice cistercien ouvre ses portes au public le week-end des 6 et 7 septembre, avant d’accueillir Benoît XVI le 12 septembre

Extrait
Au rez-de-chaussée, le magnifique volume en pierre blanche (70 m de long sous 6 m de voûte) resté sans cloison – avec seulement une librairie et une cafétéria – est éclairé par de grandes baies en ogive à l’est et des halogènes encastrés au pied des colonnes. C’est là que se tiendront les grands colloques et expositions. Et c’est là aussi que Benoît XVI prendra la parole le vendredi 12 septembre devant 650 personnalités du monde de la culture et de la recherche. Le premier étage, sans intérêt architectural particulier, a été aménagé en bureaux fonctionnels et petites salles de cours.

Au second étage, deux confortables auditoriums de 250 et 150 places – avec traitement acoustique, régie complète et studio audiovisuel – ont été installés sous la charpente médiévale restituée, « selon les plans dessinés au XIXe siècle », précise Hervé Baptiste. En outre, une vaste sacristie du XIVe siècle, vestige d’une église détruite, accueillera également des expositions. Quant à l’extérieur, un jardinet a été créé au sud et des douves tapissées de lierre permettent à la bibliothèque, construite sous le parvis, d’être éclairée par la lumière naturelle.

Les deux architectes ont visiblement pris plaisir à réaliser ensemble un tel projet permettant, comme l’exprime Jean-Michel Wilmotte, de « côtoyer le passé et d’inventer le futur ». Un futur dessiné par le cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris, qui, dès 1994, commençait à envisager de racheter les Bernardins à la ville afin d’en faire un lieu phare dans la capitale, en ces temps de déculturation chrétienne. « En ce lieu, comme déjà il y a sept siècles, la sagesse que nous propose la Parole de Dieu entrera en dialogue avec les diverses entreprises de notre civilisation, écrivait-il. Ce dialogue est nécessaire pour comprendre ses échecs et satisfaire à ses plus hautes ambitions. »
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Source: Pelerin.info

Article dans la tribune de l'Art

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La haute technologie au secours d'un des plus prestigieux vestiges de l'architecture civile médiévale situé au cœur du Quartier latin à Paris.
Le collège des Bernardins attend Benoît XVI (Le Figaro du 22 aout 2008)