Romanes.com

Livre: Françoise Choay : Le patrimoine en questions

Article repris de B. de Sagazan sur Pelerin.info:

Universitaire de renommée internationale, François Choay est historienne des théories et des formes urbaines et architecturales. En 1996 dans l’Allégorie du patrimoine, elle dénonçait « le culte actuel du patrimoine, ses excès » et pointait « ses liens profonds avec la crise de l’architecture et des villes ». Son livre, récemment publié au Seuil, « Le patrimoine en questions, anthologie pour un combat » apporte une suite à son propos précédent.

Dans cet ouvrage, l’auteur n’a rien perdu de sa pugnacité et continue de dénoncer « les aspects mortifères de la muséification du patrimoine » : la culture de masse et la marchandisation des monuments historiques. Dans son collimateur, Françoise Choay place l’Unesco et sa conception universaliste du patrimoine. Cette institution est à ses yeux responsable de l’éclosion d’une industrie culturelle planétaire qui voue nos monuments à devenir des centres touristiques avant d’être des lieux de vie.

L’auteur dénonce les dérives d’une « croisade mercantile » qui conduit à en certaines contrées du monde à dissocier l’aspect historique du monument de la vie culturelle qui commande son existence (cf les temples shinto au Japon), et à labelliser des « faux » : le village sur canaux de Lijiang en Chine, quasiment entièrement reconstruit à l’identique après un séisme; la volonté de couronner l’œuvre du Corbusier « lourdement restaurée » et dotée d’un « faux intégral » (cf l’église de Firminy).

François Choay ne fait pas que dénoncer, elle propose des réponses aux dérives sous la forme de trois combats à mener : une meilleure éducation et formation en histoire de l’art; l’utilisation éthique de nos héritages édifiés, autrement dit la volonté de replacer ces édifices dans les usages contemporains comme savent le faire les Italiens lorsqu’ils logent des universités dans d’anciens palais; l’encouragement à la participation de tous à la sauvegarde, l’entretien et l’utilisation non mercantile des nos patrimoines, notamment urbains ou villageois.

On peut de pas être d’accord avec l’auteur mais son point de vue mérite d’être pris en considération. Le tourisme seul ne peut sauver l’ensemble de notre patrimoine ni décider de son avenir, au risque de transformer notre pays en un gigantesque parc de loisirs.

J'ai apprécié dans ce livre l’argumentation de Françoise Choay et son érudition. En historienne, elle sait mettre en perspective les enjeux; en pédagogue elle sait choisir les exemples et les références à son propos. Cette grande voyageuse qui enseigne sur tous les continents, sait aussi remettre les points de vue à leur place, rappeler incidemment que les Français ne sont ni les meilleurs ni les premiers en matière de protection du patrimoine.

J’ai encore plus appris par l’anthologie qu’elle propose en seconde partie d’ouvrage. En une vingtaine de textes qu’elle introduit, de l’abbé Suger à Malraux, elle soumet des illustrations de combats menés en faveur du patrimoine. J’ignorais la plupart de ces documents et davantage qu’il existât avant l’abbé Grégoire, sous la Révolution, des Poggio Bracciolini (1380-1459), Jacob Spon (1647-1685), Bernard de Montfaucon (1655-1741), ou Aubin-Louis Millin (1759-1818) qui s’interrogeaient sur l’avenir de nos « héritages »…

Un ouvrage à conserver au rang des livres de référence.