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A quoi sert la législation des monuments historiques ? (2) : les arènes de Fréjus

Ayant vu récemment les travaux en cours aux arènes de Fréjus, je ne peux qu'avoir un pincement au cœur quand j'ai entrevu les panneaux de béton à travers leurs arches en y passant le long... Est-ce là l'avenir du Patrimoine Français, succomber au va-vite du béton et aux errements des architectes et politiques d'une époque ? Il semblait pourtant que l'on avait appris de nos erreurs, de nos reconstructeurs zélés donc un s'était même fait faire en statue sur une tour de Notre-Dame de Paris... on va sûrement y revenir bientôt si un gâchis aussi important que les arènes romanes de Fréjus devait se produire à nouveau... Les projets de constructions immobilières dans la vieille ville vont bon train en même temps... je vous laisse juger à partir de cette article de La tribune de l'Art


L’antiquité sort, a priori, du champ couvert par La Tribune de l’Art. Mais celle-ci est trop engagée dans la lutte contre le vandalisme pour ne pas dénoncer les travaux en cours, sous l’égide de la Direction Régionale des Monuments Historiques et donc du ministère de la Culture, dans les arènes de Fréjus, un monument historique classé en 1840.

Les photographies que nous a envoyées Pauline Michaud, membre de l’association "Les amis de Saint-Raphaël et de Fréjus" font froid dans le dos. La vision, d’une grue, de murs et de gradins en béton au cœur même du monument (ill. 2 à 5 et 7 à 10) est réellement cauchemardesque. Il s’agit, ni plus ni moins, que de construire en dur au milieu des arènes. Nous avons voulu interroger l’architecte en chef des monuments historiques en charge du projet, Francesco Flavigny, qui n’est pas connu habituellement pour massacrer le patrimoine. Celui-ci n’a pas pu nous répondre car il fallait pour cela, nous a-t-on dit, l’aval du préfet du Var qui est actuellement trop occupé par les inondations qui ont frappé son département. Si l’on comprend parfaitement que ce dernier ne puisse réagir rapidement à notre demande, celle-ci ne s’adressait pas à lui, mais à l’architecte et au directeur régional des affaires culturelles. On ne saurait expliquer plus clairement que l’aménagement des arènes de Fréjus est un sujet d’abord politique. Rappelons que le maire de Fréjus, Elie Brun est également sénateur UMP1.

Un article dithyrambique de Var Matin, paru le 22 juillet 2009 donne la clé du projet : il s’agit de reconfigurer les arènes pour leur permettre d’accueillir de grands spectacles, ce qu’elles ne pouvaient plus faire en raison des nouvelles règles de sécurité. Le journaliste ose écrire que « l’amphithéâtre était devenu un vestige trop compliqué à configurer pour l’accueil de grands spectacles » et que « Fréjus ne pouvait pas se priver plus longtemps d’un tel trésor, réduit à n’être visité que par les amateurs de vieilles pierres. » Sic.
Francesco Flavigny explique dans ce même article : « j’avais une exigence absolue : respecter le monument originel ». Au vu des photos, on n’ose imaginer ce qu’aurait été un chantier qui ne le respecterait pas. Ailleurs, toujours dans Var-Matin2, on peut lire cette déclaration de l’architecte : « Il s’agit d’une valorisation du monument. La structure contemporaine en béton va protéger toutes les ruines des dégradations. » Pourquoi n’y avait-on pas pensé avant ? Bétonnons les ruines qui se dégradent : le béton, c’est solide, elles ne se dégraderont plus.

Comment un projet pareil a-t-il pu jusqu’ici passer inaperçu sans déclencher les foudres des associations de protection du patrimoine ? Sans doute car la communication autour de cette opération a bien fonctionné. Toutes les déclarations des responsables que nous avons pu retrouver dans la presse, sur Internet, et qui parfois datent de deux ans, emploient des termes tels que « valorisation », « réhabilitation »3, « restauration », « mise en valeur »4...


Fréjus Info de janvier-février 2010, petit journal de propagande de la mairie, explique doctement que l’amphithéâtre romain va « retrouver son lustre d’antan ». On y découvre les explications de Francesco Flavigny que celui-ci n’a pas eu le droit de nous communiquer : « Le but de ce chantier est que cet édifice redevienne utilisable et que l’on arrête en parallèle la poursuite de la dégradation des structures. Mais il convient de prendre un premier élément en compte : ici, à Fréjus, les structures antiques n’existent plus. Ou quasiment plus. Les gradins, tels qu’on les connaissait ces dernières années, étaient en fait constitués d’une maçonnerie reposant sur les blocs de grès antique. Aujourd’hui, nous ne pourrions pas reproduire ces structures antiques. Le parti retenu pour ce chantier est de construire au-dessus des ruines. Dans cette démarche, c’est là le complet contraire du chantier de rénovation des arènes d’Arles. Là-bas, il s’agit de restituer des structures encore bien présentes. Alors que notre but à Fréjus est de reproduire la cavea dans sa géométrie exacte, mais avec des matériaux contemporains. On va donc plutôt parler d’une enveloppe protectrice qui planera au-dessus des ruines mais ne les cachera en rien. »

Nous sommes ici devant une affaire comparable à celle du château de Falaise. Le but avoué, pour cette première phase, est d’arriver à une capacité de 5 000 places. Une seconde phase est même prévue pour atteindre à nouveau les 10 000 places dont disposait l’édifice antique. Notons que la commission nationale des monuments historiques, consultée, a donné en 2005 son aval à la première phase, mais qu’elle s’est prononcée en l’état contre la seconde phase dans sa séance du 15 juin 2009 avec demande de d’une " nouvelle présentation pour validation devant la commission nationale "5...
Ce massacre patrimonial au profit de la mairie est financé à 10% par la ville (qui est maître d’ouvrage), à 20% par la région PACA et par le Conseil général du Var et à 50 % par l’Etat dont une grande partie par le ministère de la Culture (celui en charge de la protection du patrimoine...) L’autorisation de travaux a été donnée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles, représentant le ministère. Le budget qui finance cette opération est prélevé sur le budget affecté à la restauration des monuments historiques. L’argent dont on manque pour entretenir le patrimoine est donc utilisé pour le détruire. Le tout sous le signe de la « relance » (ill. 9)...

Un monument insigne classé monument historique, une mairie qui souhaite le bétonner pour le « réutiliser », un architecte en chef qui se prête à ce vandalisme, une commission nationale des monuments historiques qui donne un avis favorable, un ministère de la Culture qui valide et qui en paie une partie. Cette affaire témoigne d’une faillite complète d’un système. On imagine par ailleurs les implications financières de ce dossier, la transformation de ce monument en salle de spectacle devant à terme rapporter gros. A quoi sert une législation de protection des monuments historiques qui peut être détournée aussi facilement par ceux qui sont en charge de la faire respecter ?
Il s’agit manifestement, compte tenu de l’avancée des travaux, d’un héritage - et sans doute le pire - laissé par l’ancien directeur du patrimoine Michel Clément. Le ministre actuel était-il au courant du crime que l’on commet en son nom ? Que compte-t-il faire pour s’opposer à ce scandale en cours ? Nous ajouterons cette question à l’interview que nous lui demandons en vain depuis maintenant un an.

Didier Rykner, mardi 22 juin 2010