Conférence: En état de détérioration avancée, les fresques des églises médiévales qui font partie du patrimoine historique et artistique du Liban sont menacées de disparition. Par manque de moyens financiers, mais aussi d'équipes spécialisées, sur les vingt édifices répertoriés, trois seulement ont été restaurés et deux autres sont en cours de restauration. Ils dévoilent leurs trésors.
Salle comble au musée de l'Université américaine de Beyrouth où Ray Jabre Mouawad a donné une conférence sur les découvertes récentes des fresques médiévales au Liban. Présidente de l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales du Liban (Arefml), professeur d'histoire à la Lebanese American University (LAU) de Beyrouth, membre fondateur du centre Louis Pouzet d'études médiévales à l'Université Saint-Joseph, auteur de plusieurs ouvrages et éditrice de nombreux colloques sur le patrimoine syriaque, la conférencière a signalé la présence au Liban-Nord d'une vingtaine d'églises à fresques médiévales, dont dix de rite maronite et dix de rite grec-orthodoxe. Ces édifices, dont trois ont été restaurés et deux autres actuellement en cours de restauration, sont localisés pour l'essentiel dans les cazas de Jbeil, Batroun, Koura et la vallée de Qadisha.
Donnant un aperçu des différents styles architecturaux qui s'y sont développés, la conférencière signale en substance que les églises ayant survécu à la conquête arabe du VIIe siècle se distinguent par leur dimension réduite et leur structure trapue. En forme de cube, carré ou rectangulaire, elles ne présentent souvent aucun signe distinctif d'un lieu de culte. Certaines d'entre elles sont construites à l'emplacement des temples païens ou avec de gros blocs de pierre, vestiges de ces temples. Leur porte est surmontée d'un linteau gravé d'inscriptions grecques et leurs murs, à l'instar de ceux de l'église de Blat, sont massifs. Les voûtes et les colonnes épaisses soutiennent un toit plat. Certaines églises avaient une abside saillante vers l'extérieur et d'autres, comme celle dédiée à saint Théodore, à Bahdidat, dans la région de Jbeil, avaient un porche servant « peut-être » à abriter les catéchumènes qui n'avaient pas le droit d'assister à tout l'office eucharistique. Avant l'arrivée des croisés, ces églises n'étaient pas dotées de clocher, mais d'un « nakous », « un bout de fer ou un bout de bois qu'on frappait pour appeler à la prière ». L'église Mar Challita, à Douma, et celle de Hamatoura, dans la Qadisha, conservent encore leur « nakous ».
Le clocher fait son entrée
Peu après la prise de Tripoli en 1109 et de Beyrouth en 1110, les croisées ont entrepris de construire leurs propres églises (Sainte-Catherine à Enfeh, l'abbaye de Belmont). De style roman, dotées d'un clocher, elles sont facilement repérables contrairement aux églises byzantines. Leur architecture se caractérise notamment par l'adoption d'un plan basilical (nef à piliers ou colonnes) se terminant par une abside, un portail principal encadré d'un arc en plein cintre et une façade percée d'un oculus et de deux fenestrons cintrés. De nombreux autres procédés architecturaux ou décoratifs, typiques des églises romanes, ont été utilisés : dans l'église dédiée à saint Jean-Marc, à Jbeil, par exemple, la nef se termine par « trois absides saillantes » et le baptistère est surmonté d'une magnifique ornementation en pierre sculptée, dont les motifs (petites fleurs) rappellent ceux d'une fenêtre du Crack des Chevaliers... Ray Jabre Mouawad signale aussi que le plus ancien clocher croisé du Liban et « probablement d'Orient » est celui de l'abbaye de Balamand, où « une concession a été faite au style local : le clocher est couvert d'une espèce de coupole ».
Quant au troisième type d'église, il est né de la « fusion des deux styles : le local et le croisé », l'église de Mar Phocas, à Amioun, construite au XIIIe siècle, constitue un exemple.
De Kaftoun à Maad, des découvertes exceptionnelles
Ray Mouawad a abordé ensuite l'art religieux chrétien à travers les magnifiques fresques qui ornent l'église Saints-Serge et Bacchus, édifice de style croisé (XIIIe siècle) posé au pied du monastère grec-orthodoxe de Kaftoun, dans la région de Koura. Restaurées par une équipe de spécialistes polonais de l'Université de Varsovie, les peintures murales, qui recouvrent tout l'intérieur de l'église, sont « d'influence byzantine marquée ». Elles représentent l'Annonciation, la Déisis-vision, les saints... Cependant, la scène « d'une grande beauté », selon la conférencière, est celle de la communion des Apôtres. « Loin des figures hiératiques, nous sommes là en présence d'une peinture vivante, où chaque Apôtre a sa propre personnalité, son propre mouvement, et pose différemment... Les compositions ont été certainement exécutées par un maître de fresques byzantines », a-t-elle dit. La grande surprise de Kaftoun reste toutefois la découverte « exceptionnelle » de la frise couverte d'inscriptions arabes qui longe la nef centrale. « Les inscriptions en arabe servaient à signaler l'auteur d'une fresque ou le constructeur d'une église, mais elles n'ont jamais été utilisées comme motifs artistiques ou décoratifs... En employant les trois langues des chrétiens locaux, le grec, le syriaque et l'arabe, l'église de Kaftoun se révèle comme un centre trilingue », a ajouté la présidente de l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales du Liban.
La restauration de Kafarhelda, à Douma, a dévoilé « une très belle fresque byzantine représentant des anges annonçant aux bergers la naissance du Christ... Les nombreux détails suggèrent une maîtrise artistique certaine », a encore indiqué l'intervenante.
Du côté de Kafar Shlimane, à Batroun, les fresques de Sayyidat Nayya - chapelle construite sur les lieux d'une citerne antique - s'inscrivent quant à elles dans « le style un peu naïf » pour célébrer le Christ Pantocrator, les quatre évangélistes, ou encore pour peindre le Séraphin classique à six ailes qui témoigne de l'avènement du Christ. La peinture murale décline également « un thème très rare » : la Vierge allaitant, symbole de la double nature humaine et divine du Christ. Ainsi qu'une légende particulièrement représentée dans les églises de Cappadoce : saint Eustache chassant le cerf... La restauration de cette église a été menée par l'Arefml, en collaboration avec l'équipe italienne de Livia Aliberti (Conzorzio Arke, Rome).
Du côté de Maad, au nord-est de Jbeil, les fresques de l'église Saint-Charbel, construite sur les vestiges d'un temple romain, ont été restaurées par l'équipe de l'Université de Varsovie grâce au support financier de la Fondation Philippe Jabre. Elles offrent de nombreuses scènes iconographiques, parmi lesquelles La Dormition, de facture expressive, couverte d'inscriptions syriaques. Elle représente la Vierge Marie reposant sur un catafalque et, rassemblés autour d'elle, les Apôtres venus des confins de la terre pour la pleurer ; le diacre saint Jean encense le catafalque et le Christ descendu du ciel porte l'âme de sa mère représentée sous la forme d'un nouveau-né emmailloté de langes...
D'une valeur inestimable, ces fresques médiévales arrachées de la destruction ne constituent qu'une infime partie des monuments historiques et artistiques à sauver. Mais l'opération nécessite beaucoup de moyens. Il faut compter quelque 30 000 dollars par église et par an, une estimation qui varie en fonction de la taille de l'édifice et de l'état de préservation des fresques. L'Arefml est « ouverte à toute forme d'aide et de partenariat » : celle-ci peut être financière, technique ou académique.
Source: L'orient le jour
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