L’art des sculpteurs romans de Henri Focillon est une magistrale étude publiée en 1931 sur la sculpture romane, sous tous ses aspects, ronde-bosse, bas-reliefs, chapiteaux, sur ses techniques et sur son esthétique, sur les différentes écoles et les caractères régionaux qui leur donnent leur physionomie particulière.
Beaucoup plus mystérieuse que la sculpture gothique, dit Focillon, la sculpture romane n'a pas encore été suffisamment examinée. L'auteur entreprend donc une étude d'ensemble, dans laquelle il s'attache à découvrir le contenu spirituel de cet art, à en définir l'iconographie, et à expliciter en quelque sorte le mystère dont il demeure chargé. A la différence de la sculpture gothique qui "nous est toute proche et familière", dans laquelle "nous nous reconnaissons nous-mêmes et ce qui nous entoure, et jusqu'aux plantes de nos jardins, jusqu'aux bêtes de nos campagnes...", la sculpture romane est un monde clos, en apparence impénétrable. "Les rêves dont elle nous fait part, dit Focillon, plongent dans des régions plus reculées de l'espace et du temps et nous semblent venir d'une autre humanité. Ils s'enchaînent selon des combinaisons très complexes qui ressemblent à une sorte de langue chiffrée, et ce secret d'une science cachée n'est pas ce qu'il y a de moins attachant en eux". Entre la sculpture romane et la sculpture gothique, il y a un abîme. Nous voyons difficilement le passage de l'une à l'autre, et, en réalité, il n'y a pas de passage, car ce sont des expressions plastiques répondant à des conceptions de la vie très différentes, presque opposées.
Henri Focillon avait traité de la sculpture romane dans les cours qu'il avait faits à la Sorbonne de 1926 à 1929; ce livre est né de ces cours, des controverses que Focillon y avait exposées, notamment, celle capitale, sur les origines asiatiques du roman. Il est vrai qu'un prodigieux et complexe ensemble de formes, de techniques, d'idées, de traditions, concourt à la formation de la sculpture romane. La Grèce hellénistique y a sa part, aussi bien que le monde syrien, la Perse sassanide, la Scandinavie, les miniatures irlandaises. Les sculpteurs ont pris pour modèles des tablettes d'ivoire, romaines et byzantines, des tissus égyptiens, des émaux rhénans et mosans, des objets rapportés d'Orient par les Croisés.
L'intérêt du livre de Focillon est de montrer comment, de ces innombrables influence qui ont pesé, certes, sur la formation et le développement de l'art mosan, il s'est formé "un" art original, qui a sa physionomie, ses caractères particuliers, et qui, malgré les racines lointaines qu'il enfonce jusque dans les antiques civilisations mésopotamiennes, par tout un ensemble de formes et de traitement de ces formes que Focillon a magistralement exposé, aboutit à "une nouvelle forme de la conscience humaine". L'auteur renouvelle ici, avec un grand bonheur, toute la connaissance d'une époque comparable à un tissu fait de matières les plus diverses et brodé de dessins fantastiques auxquels tous les peuples ont apporté leur inspiration. ce maître qui a imprimé à l'étude de l' histoire de l'art et de l' esthétique en France des directions fécondes, et marqué de son empreinte les jeunes générations d'archéologues, a donné dans ce livre un des exemples les plus convaincants et les plus émouvants de l'indépendance et de l'originalité de sa pensée, et du génie avec lequel il retrouvait le sens caché de l'œuvre d'art, sa signification profonde et son plus haut message.
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