Aujourd’hui s’ouvre à Paris une exposition dédiée au portail de l’ancienne abbatiale de Cluny, en Bourgogne. On y découvre avec émotion un travail de reconstitution minutieux d’une œuvre romane majeure atomisée par des explosifs après la Révolution.
portail de l'avant nef, extrait du film Arts et métiers, ParisTech Cluny, centre des monuments nationaux
L'église la plus importante de la chrétienté
Pendant quatre siècles, jusqu’à la consécration de Saint-Pierre de Rome, Cluny fut l’église la plus importante de la chrétienté. Puis vint la Révolution. On chassa d’abord les moines. L’armée démonta la toiture pour en extraire le plomb. L’église commença à prendre l’eau et à se dégrader. Elle fut finalement vendue pour ses pierres. Certains ont bien crié au scandale, « mais à une époque où l’on essayait d’imposer le droit de propriété, il n’était pas question de revenir sur cette vente » explique Damien Berné, conservateur au Musée de Cluny. La Major Ecclesia (grande église) telle qu’on la surnommait, a été ainsi presque totalement détruite en quelques années. « Dans les années 1820, un promeneur anglais décrit… une grande pelouse là où quelques années auparavant se trouvait l’édifice » poursuit Damien Berné.
Difficile à croire, mais ce qui était un symbole de la chrétienté depuis l’achèvement de l’abbatiale en 1130 avait presque totalement disparu du paysages comme des mémoires. Car au sujet du bâtiment, on n’avait que très peu écrit. Encore moins peint. C’est l’amer constat que fit un archéologue américain rompu à l’architecture, Kenneth Conant, dans les années 1920. Venu en France avec le soutien de Harvard, il devait faire le tour des édifices ruinés par la Révolution. Il ne quittera jamais la première étape de son voyage, Cluny.
Un chef d’œuvre dont l’aspect exact nous échappe encore
Parti à la recherche de vestiges en creusant le sol à la verticale, il donna son premier coup de pioche là où se trouvait jadis le portail. Celui-ci avait été démoli à l’explosif : pourquoi s’encombrer entre autres d’un tympan dont les sculptures rendaient la surface si irrégulière qu’elle ne pourrait plus servir à aucune construction ? « D’autant que l’art roman n’était guère considéré à l’époque » précise Damien Berné. Il s’agissait pourtant d’un unique bloc de pierre de 23 tonnes, installé là on ne sait comment, dont le décor polychromé a été jugé a posteriori comme l’un des plus grands chefs d’œuvre de l’art roman…
Un chef d’œuvre dont l’aspect exact nous échappe encore. Riche en tout et pour tout d’une gravure et d’une aquarelle, Conant a tenté d’en imaginer les formes, traçant à la craie les contours des supposées sculptures sur le sol de sa chambre et disposant dessus les fragments qu’il remontait à la surface.
Un film pour faire revivre l'abbatiale
C’est à lui et à son équipe que l’on doit la majeure partie des pièces ici présentées au Musée de Cluny à Paris (et qui partiront en Bourgogne au Musée d’art et d’archéologie de Cluny dans trois mois). Car leurs fouilles ne furent complétées que par une seconde mission archéologique, dans les années 1980. Ces pièces, elles sont au nombre de 200. Mais, une fois disposées sur un châssis représentant le portail à l’échelle 1, c’est surtout le vide qui frappe. Oui, la destruction fut terrible et ce travail de fourmi présenté pour la première fois au public n’y fera rien. Rares, les fragments de pierre n’en sont pas moins émouvants. Et, surtout, ils ont permis de réaliser un petit film de sept minutes en images de synthèse étonnant de réalisme. Certes les chercheurs nous présentent plus leurs hypothèses que leurs résultats, mais ils ont réussi le pari de faire revivre l’abbatiale dans notre imaginaire.
Une aventure racontée dans seulement trois salles, dont une réservée à la projection du film. Ce n’est donc pas une exposition à parcourir en flânant. Il faut faire l’effort de se plonger dans cette histoire. Heureusement, elle est accessible à tous. Grâce aux explications, nombreuses, et à un jeu pour les enfants. En prenant ainsi son temps, on est peu à peu gagné par l’émotion dégagée par ces fragments éparpillés. Et, bien sûr, par la colère, face aux irréversibles dégâts du vandalisme post-révolutionnaire.
Mathieu Nowak
Sciences et Avenir.fr
28/03/2012
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