Très en vogue au XIIe siècle, le culte marial donna lieu à une foule de représentations dans la sculpture romane. Parmi tous les visages de la Vierge ciselés dans la pierre, un se détache, signature d'un homme ou plus sûrement de son atelier. Un exemplaire se trouve sur le tympan de l'église de Cabestany qui met en scène une Assomption. Un second se trouve dans l'église de Rieux-Minervois.
Nous sommes sur les traces d'un "imagier" des plus originaux de son temps : celui que l'on désigne, faute de connaître son patronyme, sous le nom du Maître de Cabestany.
Un conteur
L'oeuvre de cet artiste est concentrée, pour l'essentiel, dans les Pyrénées-Orientales et dans l'Aude, avec deux incursions en Catalogne Sud et en Toscane, dans les environs de Florence (lire ci-contre).
L'art du Maître se caractérise par "une articulation expressive et narrative d'une densité rare" (1). L'homme est un conteur. Dans l'abbaye de Saint-Hilaire, près de Carcassonne, est conservé un sarcophage sur lequel est représenté le martyre de Saint-Sernin. Chronologiquement, tout est dit : du jugement au châtiment, le Saint traîné par le taureau et les restes de sa dépouille relevés par les Saintes Puelles. Mais on lit cette histoire... de droite à gauche, comme les écritures arabes et hébraïques.
Le tympan de l'église de Cabestany est encore une authentique mise en scène. La Vierge est à l'extrême droite de l'ensemble, dans une position inclinée. Elle épouse la courbe ascendante que dessinent autour d'elle les anges qui la propulsent vers le Ciel.
Au Boulou, c'est une fuite en Égypte que le Maître raconte. On y voit la Vierge tenant l'enfant Jésus dans ses mains graciles.
Le génie du Maître de Cabestany réside aussi dans son esthétique. Les Vierges de Cabestany et de Rieux rivalisent dans ce domaine. Elles sont privées de regard, comme si elles n'étaient déjà plus de ce monde. Et les doigts de leurs mains placées le long de leur corps sont d'une longueur infinie, comme si elles s'élevaient de terre dans un mouvement ascendant initié par Dieu.
L'oeuvre d'un sage
À Rieux, la sculpture atteint un rare niveau de perfection. La Vierge est placée dans un écrin : l'église à plan centré qui comprend une nef à quatorze côtés au centre de laquelle s'insère un choeur de forme heptagonale reposant sur quatre piliers et trois colonnes. Pour André Bonnery, un des grands spécialistes du Maître de Cabestany, il s'agit d'une représentation du temple de la Sagesse illustrant le verset 9-1 du Livre des Prophètes : "La Sagesse a bâti sa maison, elle a dressé sept colonnes". Au Moyen-Âge, la Vierge était considérée comme la plus haute représentation de la Sagesse. En consacrant aux deux ce qui peut être regardé comme son chef-d'oeuvre, le Maître de Cabestany est entré en Éternité.
Source: L'indépendant Illustration: Jean-Luc Bobin
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